À sens unique ?

S’interroger sur la fin d’une langue, c’est aussi s’interroger sur son commencement.  

 La langue est historique  

Au cœur de perpétuels débats, les questions de l’évolution et de la norme linguistique animent autant les linguistes que les locuteurs d’une langue. C’est pour cette raison qu’il apparaît important de déconstruire, d’interroger et de repenser la langue française. Le changement est la caractéristique première de la langue, mais cette particularité est encore à ce jour un problème irrésolu. Démystifier ce qui nous semble naturel pourrait permettre de dépasser le malaise que peut causer le caractère vivant de la langue.  

 Il n’est pas rare que nous nous offusquions de l’empreinte d’une autre langue sur la nôtre, mais, a priori, il faut savoir que le français est issu du latin vulgaire (du peuple) et oral. Or, c’est précisément ce qui rend la langue si riche : son historicité. Elle évolue dans le temps et change selon les conditions géographiques et sociales (Huchon, 2002, p.17). Par exemple, le français d’aujourd’hui est marqué par l’anglais, mais il faut savoir que celui de la Renaissance a emprunté deux milliers de mots à l’italien (Huchon, 2002, p. 145). La notion de pureté ne fait qu’accentuer la résistance aux changements, qu’ils soient sociétaux, politiques, économiques ou autres. 

 Ainsi, à la question «La langue s’arrête-t-elle vraiment quelque part?», il faudrait répondre, «Peut-elle vraiment s’arrêter?» Le langage ne cessera jamais de naître et de nous faire naître.  

 À sens unique? 

Sachant que la langue est légiférée par des institutions sociopolitiques, comment se fait-il qu’elle ne soit pas toujours en adéquation avec les règles qui l’encadrent? Il est possible de l’isoler, notamment par la grammaire, mais certains aspects de la langue débordent les limites de la norme, voire celles du sens. Il est légitime de croire qu’elle évolue en un sens précis, car c’est ce qu’on nous enseigne : les règles d’accord du participe passé, l’accord du féminin et du masculin, l’utilisation de la virgule, etc. Cependant, en parcourant l’histoire du français, la dichotomie entre le français écrit et oral devient de plus en plus manifeste et nous comprenons que le sens que prend la langue varie. 

 L’écriture épicène (epikoinos) : un espace commun  

Si les mots constituant la langue acquièrent leur sens en se définissant les uns par rapport aux autres, ils influencent aussi nos représentations du monde. Nous associons chaque mot à ce qu’il signifie. Il en va de même pour le genre qui lui est attribué : celui-ci affecte nécessairement notre conception du sujet qu’il dénote. Par exemple, au mot président, nous associons l’image d’un homme politique. Pourtant, il existe bel et bien des femmes qui remplissent le rôle de présidente. Entendre «Madame le président» ne vous choque-t-il pas? En France, la féminisation des métiers n’a vu le jour que très récemment. 

 Pour résoudre le problème de représentation des genres, il est possible de faire usage de mots épicènes, qui ne sont pas associés à un genre : lectorat, élève, gestionnaire, etc. Plutôt que de regrouper les personnes selon leur genre, pourquoi ne pas les inclure dans un espace commun, dans lequel ils pourront se reconnaître? Recourir à des mots épicènes permettrait peut-être de déconstruire le mythe selon lequel la langue est pure et canonique. C’est en libérant la langue qu’une réappropriation de soi, qu’elle soit individuelle ou collective, est possible. 

Catherine Lambert
Enseignante de français

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